Reconstruction des Églises
La reconstruction
Bien que l'église de Pernois ne soit pas concernée par une reconstruction, il est assez intéressant d'apporter des éléments pour la reconstruction de certains édifices dans les environs.
L'église est l'édifice le plus important du village. Sa reconstruction, qui est une décision mûrement réfléchie, nécessite l'emploi de fortes sommes d'argent.
La Fabrique, qui est en général l'instigatrice du projet, ne peut en assurer seule le financement. Elle se tourne alors vers la commune, comme le stipule le décret du 30 décembre 1809. Le Conseil municipal dispose, lui, tout d'abord des fonds communaux, comme la vente d'arbres ou la mise en adjudication de parcelles de marais tourbeux (pour les communes de la vallée de la Somme). Dans la plupart des cas, une imposition extraordinaire est décidée et ce, en accord avec les notables locaux. Celle-ci nécessite l'autorisation du gouvernement et est utilisée par les commandes sans ressources. Cette imposition qui dure de 10 à 15 ans, couvre alors le montant de l'emprunt contracté par le Conseil municipal (Doc 2).
Celui-ci a la possibilité de demander une aide au gouvernement, le Secours. Cette pratique, inaugurée sous la Monarchie de Juillet, est cependant limitée. Chaque année, en effet, une certaine somme d'argent est portée au budget du Ministère des Cultes, afin d'aider les communes en difficulté. Le budget de la " Caisse du Secours", qui varie suivant les années, est fortement disproportionné par rapport au nombre important des demandes formulées par les communes.
Aussi, les différents Ministres des Affaires Ecclésiastiques qui se succèdent, demandent-ils~.à leurs Préfets, pendant toute la seconde moitié du XIXème siècle, d'examiner minutieusement les dossiers de demandes et d'effectuer un choix au préalable avant envoi.
Le Préfet, lui aussi, a la possibilité d'octroyer une somme d'argent aux Conseils municipaux. Ce Secours est accordé en cas de besoin urgent et ne représente qu'une somme très minime.
Il est ainsi difficile aux communes de réunir l'argent nécessaire au paiement des travaux. Certaines élèvent donc leur église en plusieurs fois : à Saint-Ouen, dans le canton de Domart-en-Ponthieu, le chœur et le clocher de l'église datent de 1824, la nef de 1843 (1) ; à Buigny-l'Abbé, dans le canton d'Ailly-le-Haut-Clocher, la nef et le clocher de l'église ont été construits en 1846, le chœur en 1868.
Le Conseil Municipal peut aussi bénéficier de l'offrande des notables ou de la noblesse locale, qui participent ainsi à la reconstruction de l'église de leur village. Le montant de ces dons est fort variable. A Poulainville, près d'Amiens, en 1867, M. Lépine (un propriétaire) lègue 10.000 F., sur un coût total de 42.500 F., soit 25 %. A Havernas, dans le canton de Domart-en-Ponthieu, M. de Brandt (châtelain du village et Maire de la commune) et sa sœur apportent 65.000 F. pour le financement de la construction de l'église et ce sur un total de 72.500 F., soit 90 %. A Vignacourt, dans le canton de Picquigny, en 1872, M. Dubuc, un gros propriétaire de Paris, originaire de la commune, offre lui, 215.000 F., somme colossale à l'époque, sur les 250.000 F., coût total des travaux. II est ainsi à l'origine de la construction de la monumentale église néo-gothique qui orne la place de Vignacourt et est considéré au sein de la commune, comme un bienfaiteur (2).
Dans d'autres cas, la noblesse locale se charge elle-même de la reconstruction de l'église du village (don du nouvel emplacement, financement des travaux, choix de l'architecte ...). L'église de Molliens-au-Bois, située dans le canton de Domart-en-Ponthieu, construite en 1872, est ainsi due à la libéralité de M. Poujol de Molliens (Doc 3) ; l'église de Bovelles, dans le canton de Molliens-Dreuil, consacrée le 7 Juillet 1874, est due à M. de Franqueville ; l'église de Vauchelles-les-Domart, datant de 1882, est un don de M. de Gomer à la commune. Une donation de ce type lui donne notamment le droit "de retenir la propriété d'un banc ou d'une chapelle, pour lui et sa famille, tant qu'elle existera" (3).
Une souscription publique organisée au sein du village peut réunir, dans certains cas, une grosse partie des fonds nécessaires. Elle témoigne ainsi de l'effort financier consenti par ces populations rurales, pauvres en général, pour la reconstruction de leur église. Ces souscriptions ou ces quêtes sont dirigées par le prêtre ou par le Conseil de Fabrique, parfois par le Conseil municipal ou par le Maire (comme à Saint-Vaast, dans le canton de Villers-Bocage, en 1833).
A Halloy-les-Pernois, dans le canton de Domart-en-Ponthieu, en 1882, 10.035 F. sont ainsi réunis sur les 48.245 F., coût total des travaux, soit 20 % ; à Crouy-Saint-Pierre, dans le canton de Picquigny, en 1888, la souscription publique représente 20 444 F. sur un total de 32.615 F., soit 62 % ; à Fresnoy-au-Val, dans le canton de Molliens-Dreuil, en 1901, 16.454 F. sur 34.900 F. au total, soit 47 %.
De plus, certaines souscriptions, organisées pour financer la construction de l'église, permettent de réunir l'ensemble de la communauté villageois autour du projet. Chaque famille donne une petite somme d'argent, selon ses modestes moyens, et participe ainsi à l'entreprise collective.
A Ferrières, dans le canton de Picquigny, l'église est reconstruite en 1867 et ce pour 21 379 F. La souscription publique rassemble 11.538 F., soit 36 % du coût total des travaux. Elle est composée de 1.007 F. en dons de matériaux, venant de 27 personnes différentes et de 10.531 F. en argent. Si l'on enlève les dons respectifs du Maire et du châtelain, s'élevant à 8.500 F., on arrive à un total de 2.000 F. environ et ce pour 103 dons, soit 10 F. par don en moyenne. L'ensemble de la population du village, composée de 400 habitants environ à cette époque, a donc participé à la reconstruction de l'église.
A Bonneville, dans le canton de Domart-en-Ponthieu, une souscription publique est aussi organisée en 1895 par le Conseil municipal pour la reconstruction de l'église. Elle permet de réunir 29.962 F., soit 36 % du coût total des travaux évalué à 82.406 F. Si l'on excepte les 10 dons principaux de plus de 1.000 F., on arrive à un total de 14.000 F. et ce pour 166 dons, soit 84 F en moyenne par don. L'ensemble de la population du village (800 habitants) participe là aussi à l'effort communautaire. La liste des souscripteurs est composée dans sa grande majorité d'hommes, pourtant 16 veuves sont aussi donataires, de plus toutes les classes sociales sont représentées : propriétaires et négociants, cultivateurs et artisans (bourreliers, maçons, maréchaux-ferrants ...), ouvriers agricoles (bûcherons, manouvriers) et domestiques, mais aussi garde champêtre, Maire et desservant.
A Coisy, dans le canton de Villers-Bocage, c'est la population du village elle-même qui a élevé son église en 1853 : "les habitants de Coisy ont fait des sacrifices et des efforts surhumains car on les a vu nourrir les ouvriers, travailler eux-mêmes, faire les charrois, offrir de l'argent et des matériaux avec un ensemble parfait, avec une persévérance admirable" (4).
Les fonds nécessaires à la construction des églises pendant le siècle concordataire ont donc différentes origines. Ils proviennent des ressources communales ou de Secours de l'État, des élites locales (notables et noblesse) par le biais de l'imposition extraordinaire ou de donations, de souscriptions publiques organisées au sein des populations. L'ensemble de la collectivité villageoise a donc participé au XIXème siècle à cet effort de reconstruction.
Cependant, la part de ces différents moyens de financement a évolué.
Pendant la première moitié du XIXème siècle, tout d'abord, les Secours de l'État, créés sous la Monarchie de, juillet, ne représentent qu'une faible part, 5,4 %. Les Fabriques, dont les biens ont été aliénés sous la Révolution, n'ont pas la possibilité de financer la construction d'une église ; le chiffre de 1 % au total est donc révélateur de cette situation. Avec 60 %, la part des fonds communaux est majoritaire. Les dons et souscriptions des particuliers, avec 28 %, sont également importants. Ainsi, à Allonville, près d'Amiens, en 1841, la souscription de M. de Raineville représente 55 % du coût total de la construction.
Ce bilan évolue peu sous le Second Empire. La part de la commune (53,5 %) et celle des dons et souscriptions des particuliers (26,7 %) sont quasi-identiques à la période précédente. Cependant, celle du Secours de l'État, avec 10,5 %, double. Et de 1860 à 1869, dans 9 cas sur 12 répertoriés, l'État participe au financement des travaux et ce dans des proportions importantes, de 15 jusque 29,5 %, même dans le cas de l'église de Montagne-Fayel, dans le canton de Molliens-Dreuil, élevée de 1861 à 1864 (4.000 F. sur un total de 13.585 F.). La part de la Fabrique augmente elle aussi, mais ceci est uniquement dû à l'édification de l'église de Mouflers, située dans le canton d'Ailly-le-Haut-Clocher où " tous les frais ont été payés par la vente de biens appartenant à la Fabrique" (5).
Enfin, sous la Troisième République, on assiste à un renversement dans les parts respectives des fonds communaux (28,3 %) et des dons et souscriptions des particuliers (60 %) et ce, par rapport aux deux périodes précédentes. La part du Secours de l'État reste, elle, sensiblement identique, avec 9,5 %. Il est ainsi intéressant de constater que de 1882 à 1904, l'État participe au financement de 9 des 10 églises construites, et ce dans des proportions importantes, -20 % en moyenne. Ainsi, malgré un anticléricalisme affiché, l'État continue d'aider les communautés villageoises dans leurs entreprises de reconstruction des édifices du culte.
Ainsi différents modes de financement participent à la reconstruction des églises du XIXème siècle. L'État apporte une aide importante aux collectivités locales, à partir de la Monarchie de Juillet. Mais les communautés villageoises surtout, sont très actives, accordant leur soutien au prêtre et au Conseil de Fabrique, participant aux souscriptions publiques et même parfois aux travaux. Les élites locales ont, eux aussi, un rôle déterminant, en répondant favorablement aux impositions extraordinaires votées par le Conseil Municipal, ou même grâce à des donations importantes. La construction d'une église est l'occasion, pour toute la population du village, de s'unir autour d'un projet commun.
Sources
(1). Ceci explique pourquoi le clocher de l'église est situé au-dessus du chœur et non au-dessus de l'entrée de la nef, son emplacement habituel.
(2). À la mort de M. Dubuc, en 1874, un monument rappelant sa mémoire a été érigé au centre du cimetière communal.
(3). Décret du 30 décembre 1809. Article 72. op. cit.
(4). Lettre de l'abbé Debeaumont au Préfet datée du 28 Décembre 1854, 99 O 1193 (4) Coisy. ADS.
(5). Lettre du Maire au Préfet datée du 19 Août 1882, 99 O 2798 (4) Mouflers. ADS.
Date de dernière mise à jour : 08/01/2015